lundi 13 janvier 2014

Lutter contre l'antisémitisme par la culture ?

La Ministre de la culture, Aurélie Filipetti, était interviewée sur BFM TV par Apolline de Malherbe.

Une première question, celle de la pertinence du poste de ministre de la culture, n'a pas été posée. En effet, à quoi sert le ministère de la culture ? Faut-il un ministère de la culture pour produire des oeuvres culturelles et diffuser la culture française, dans le pays et à l'étranger ? 

Le ministère de la culture et de la communication, si on en croit leur site web, a pour mission de rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France. À ce titre, il conduit la politique de sauvegarde, de protection et de mise en valeur du patrimoine culturel dans toutes ses composantes, il favorise la création des œuvres de l'art et de l'esprit et le développement des pratiques et des enseignements artistiques.

Question : est-ce la curiosité naturelle de chacun, et les moteurs de recherche, ne font pas plus pour la diffusion des oeuvres culturelles, y compris en France, que n'importe quel ministère ? Est-ce que le patrimoine culturel français, connu dans le monde entier, a attendu la nomination d'Aurélie Filipetti (ou celle de ses prédécesseurs), pour exister ? Comment se fait-il que la culture américaine (tant populaire qu'universitaire) se soit répandue dans le monde alors qu'il n'y a pas de ministre de la culture aux Etats-Unis ?

Mais cette question n'ayant pas été posée, passons.

Une partie de l'interview de la ministre de la culture était consacrée à l'actualité et à Dieudonné. En effet, Aurélie Filipetti, qui a commencé par ne pas répondre à la question pourtant claire et directe de la journaliste "que dites vous aux fans de Dieudonné ?", a fini par exposer la thèse suivante : la culture permettra de lutter contre les préjugés antisémites véhiculés par Dieudonné.

Qui peut ne pas être surpris par un tel plaidoyer ? Que seul son aspect pro domo ait motivé Aurélie Filipetti et l'on en comprendrait le sens, après tout il est logique et sain que la ministre de la culture défende sa mission. Mais y croit-elle vraiment ?

Dans la culture, il y a divers aspects (2): 1. l'ensemble des connaissances dans un domaine particulier (être cultivé, être calé 2. l'ensemble des phénomènes matériels et idéologiques qui caractérisent un groupe ethnique ou une nation 3. ensemble de signes caractéristiques du comportement de quelqu'un et, également  (4) des films, de la musique, des livres (les produits culturels).

On imagine qu'Aurélie Filipetti a voulu dire que les fans de Dieudonné sont peut au fait de l'histoire du pays et qu'ils ignorent le fait que l'importance de la shoah provient du caractère inédit et particulièrement inhumain d'un massacre dirigé vers des gens uniquement du fait de leur religion, et que, du coup, la ministre de la culture pense que plus d'éducation, plus d'accès aux livres permettra de combler cette lacune.

Il y a pourtant des éléments qui permette de nuancer un tel optimisme.

D'une part, la culture française (au sens 2) a longtemps été plus ou moins violemment antisémite (au sens moderne du terme), c'est à dire, plus exactement, véhiculant des préjugés contre les juifs, comme ce fut le cas dans l'ensemble de la culture européenne d'ailleurs. L'hitlérisme et l'anti sémitisme du national socialisme allemand ne sont pas tombés de nulle part. Que le 3eme Reich ait mené une politique anti culturelle (au sens 4) en brûlant des livres ou en interdisant certains artistes ne doit pas masquer le fait que les idéologues du nazisme étaient des gens avec un background culturel important. L'antisémitisme ne s'est pas résumé à la violence et à l'inculture des soldats du Reich.
Question : que se passera t-il quand les fans de Dieudonné se réclameront de Shakespeare (le marchand de Venise) ou de Céline (voyage au bout de la nuit, prix Renaudot) ?
Pourquoi nier que, comme toute histoire, et sans vouloir les stigmatiser, juste les assumer, celle de France et celle d'Europe contient des éléments négatifs ?

D'autre part, depuis quand la culture empêche de méconnaître l'histoire ? Un exemple flagrant est par exemple la polémique qui a opposé Najat Belkacem à Lyon, en avril 2009, quand cette diplômée de Sciences Po a, apparemment en toute honnêteté, considéré que le "péché originel" de l'esclavage et de la ségrégation raciale qui caractérisait les Etats-Unis ne concernait pas la France (3), ignorant par la-même la loi nº 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance des traites et des esclavages comme crime contre l'humanité, ce qui n'étonnera pas les phares de la réacosphère comme Zemmour ou Rioufol, au passage. Ces derniers ne considèrent-ils pas que la hiérarchisation des souffrances est une stratégie de bouc émissaire qui permet à certains, les peuples arabes par exemple, de s'absoudre de leurs responsabilités historiques, ou de mettre sous le tapis de nouvelles haines, comme la christianophobie (4) ?

En refusant le débat, non pas sur la shoah, aucune personne sérieuse ne peut la nier, ni même sur son importance (là encore, personne ne peut nier le massacre de 6 millions de personnes) mais sur sa place dans une histoire de France d'après-guerre qui a commencé par la nier (avant qu'un historien étranger en rappelle l'importance), les socialistes français ne facilitent pas l'analyse objective de l'histoire du pays.

Alors, comment on fait pour lutter contre l'antisémitisme, si les lois mémorielles (Gayssot, Taubira) ne marchent pas et si la culture pourrait ne pas être un remède suffisant ? Peut-être qu'on pourrait envisager une vraie Freedom of Speech au sens du 1er amendement US. 
Après tout, l'Anti Defamation League ne parle t-elle pas autant de la France que des Etats-Unis, alors que nous sommes 5 fois six fois moins peuplés et en plus protégés par ces fameuses lois mémorielles ?

En réalité, les socialistes français ne sont pas dans une position confortable. Ils sont coincés entre leur volonté de réconcilier le pays et de supprimer les facteurs de haine et la gestion de demandes communautaristes, de manière hiérarchisée. Une réflexion globale s'impose donc, de leur part, y compris sur leur complaisance vis a vis de certaines violences, comme celles issues de l'extrême gauche ou des christianophobes.


(1) Ministère de la culture et de la communication Le ministère
(2) Le Parisien Libéral La culture n'est pas une valeur marchande ? 9 octobre 2013
(3) Lyon Capitale Najat Belkacem chahutée sur l'esclavage 18 avril 2009
(4) Yvan Rioufol Les chrétiens, ces oubliés de la république 9 janvier 2014
(5) adl.org

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