vendredi 18 mars 2016

Liberté de la presse : en Turquie bien sur, mais chez nous ?

On parle beaucoup de la liberté de la presse, ces temps ci.
D'abord, parce qu'il y a a eu cet appel de 136 députés allemands (1) appelant à respecter la liberté de la presse en Turquie, appel relayé par la Maison Blanche (2).
Dans ce domaine comme dans d'autres, la Turquie prouve qu'elle n'adhère pas au corpus des valeurs démocratiques Européennes, et que, donc, sa candidature à l'adhésion à l'UE est peu légitime (euphémisme).

Ensuite, parce que, dans le cadre de la 27eme édition de la semaine de la presse et des médias dans l’école, organisée par le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (le Clemi, une administration de l’Éducation Nationale), les jeunes plancheront sur le sujet de "la liberté d'expression".
Pendant cette semaine, qui débutera le 21 mars, divers colloques se tiendront, dont la conférence d'Eric Fottorino, ex-directeur du journal Le Monde, sur le thème « Liberté de la presse : où en est-on ? » mardi 22 mars à La Ferté-Macé (3).  

Or, s'il est normal que nos amis allemands ou les américains dénoncent ce qui se passe au pays de Midnight Express et du génocide (nié) des arméniens, il serait encore plus utile qu'ils alertent sur la situation française. Après tout, c'est nous, les français, le pays des Droits de l'Homme, pas la Turquie. Et c'est nous qui envoyons nos armées se battre aux quatre coins du monde au nom de la démocratie et des Droits de l'Homme.

Et le fait est que la situation n'est pas bonne. Certes, en matière de liberté de la presse, la France n'est pas la Turquie. Mais elle n'est pas, surtout, le Benelux, la Scandinavie, le Canada ou l'Allemagne.


http://index.rsf.org/#!/


Selon l'indice de Reporters Sans Frontière, la France, en 2015, se classait au 38eme rang mondial des pays dans le Monde, en matière de liberté de la presse. Sur 180 pays analysés, c'est bien, mais par rapport à une majorité des membres de l'Union Européenne, nos partenaires, c'est très perfectible.

Du coup, quand on lit que dans le cadre des discussions entre l'UE et la Turquie (4), le président Hollande se permet de déclarer « Il s’est produit en Turquie un attentat qui a fait de nombreuses victimes, mais si l’on peut comprendre que la Turquie veuille se protéger du terrorisme, il ne peut pas être accepté des entorses aux droits de l’homme et aux droits de la presse », on croit réver ! 

De quel droit, nous, Français, pouvons nous, en ce moment, donner des leçons en la matière ? 

Rappelons-nous. En 2009, le Parti Socialiste faisait des reproches envers l'ancien président de la République, dont la nomination du président de France Télévision par le chef de l’Etat, la saisie des  relevés de communication d'un journaliste du Télégramme de Brest pour obtenir ses sources dans une affaire de meurtre, la garde-à-vue de Guillaume Dasquié pour «compromission du secret défense, la plainte de Frédéric Lefebvre au PDG de l’AFP pour se plaindre du traitement des communiqués de son parti ou la proximité de Sarkozy avec plusieurs patrons de groupe de presse (5).
Le Parti Socialiste avait bien sûr raison d'être vigilant sur la liberté de la presse.
Ce genre d'images, un journaliste de Reuters empêché de filmer par la police française, est indigne de notre pays. 


Un journaliste de Reuters empêché de filmer par... par rue89


En 2012, le candidat Hollande déclarait : Moi président de la République, je n'aurai pas la prétention de nommer les directeurs des chaînes de télévision publique, je laisserai ça à des instances indépendantes.

Mais depuis, que s'est-il passé ? L'actuelle majorité a t-elle été plus respectueuse de la liberté de la presse que la précédente ? A t-elle hissé la France au premier rang en la matière ? Hélas, non.

Passons sur la conjugaison des phénomènes d'autocensure, de mimétisme et de conformisme dans les médias français, qui fait qu'une faute dans une dépèche AFP se retrouve diffusée dans l'ensemble des médias



ou que des opinions pas forcément minoritaires ne sont jamais mentionnées dans les journaux. Après tout, il s'agit de choix éditoriaux, que les clients valident ou pas.

Voyons plutôt le fond, la nature des interventions du pouvoir sur la presse.

D'abord, contrairement à ce qu'il avait promis, le Président Hollande a procédé à des  nominations partisanes dans les médias publics.
Après avoir imposé  sa candidate à la tête de l'agence de l'Audiovisuel Extérieur de la France (AEF) (6), la président Hollande a nommé le nouveau président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) (7), avant de prendre en main la nomination du président de l'ORTF France Télévisions (8).
Le Président Hollande a donc menti. L'audiovisuel public n'est pas indépendant, il est toujours sous tutelle de l'Elysée

D'autre part, le maintien en vie des canards boiteux de la presse, par le biais des subventions (9), et l'interventionnisme étatiste en matière de structure de revenus et de couts sur les entreprises de média, induit un sérieux biais quand à l'indépendance des journalistes. Par exemple, à quel moment la subvention au quotidien d’extrême gauche l'Humanité, par le biais de l'abandon par l’État de créances détenues sur le quotidien à hauteur de 4 086 710 euros, a t-il fait l'objet d'un débat public ?
Le public, c'est à dire les clients, a jugé que l'Humanité pouvait disparaitre, puisqu'il ne l'achete pas.  Pourquoi l'Etat nous force t-il quand même à financer ce journal ?

Qui plus est, la liberté de la presse en France n'est pas seulement limitée par l'interventionnisme public, mais aussi par les dérives du capitalisme de connivence. On le sait, la possession de certains médias par des grands groupe de maroquinerie, de logistique, de banque ou de BTP peut poser problème. Enquêter sur Merci Patron quand on est journaliste au Parisien (LVMH), sur le Credit Mutuel quand on travaille pour Canal Plus (Bolloré), ce n'est pas évident. Mais heureusement, le net et la blogosphère apportent une réponse à ce problème.

Enfin, en France, nous ne nous contentons pas de nommer le top management des entreprises publiques de médias, ou de subventionner. Il faut aussi qu'il y ait des interventions directes dans les rédactions, et la chasse au politiquement incorrect. Ainsi, comment analyser le licenciement de Philippe Verdier, ex présentateur météo de France TV, viré non pas parce qu'il aurait détourné de l'argent public ou mangé un chaton cru en direct à l'antenne, mais parce qu'il a osé écrire un essai non pas clairement à 100% climatosceptique, mais remettant simplement en perspective les hypothèses sur le réchauffement climatique (10).
Au passage, puisque suite à cette affaire, on a appris que Philippe Verdier avait un époux, notons le silence de la gauche d"habitude plus prompte à défendre les minorités. On ne transige pas avec les vérités révélées du clergé médiatique ! Il faut que les fantassins de base du journalisme public appliquent les directives des généraux de l'Elysée ! Le public n'a surtout pas le droit de savoir qu'il y a un débat scientifique !

Oui, la France a mille fois raisons de défendre la liberté de la presse. Mais avant d'aller faire des blagues en Chine (11) ou des remarques (justifiées) sur la Turquie, peut être pourrions-nous améliorer ce qui se passe, ici, chez nous,  par exemple faire en sorte que la police ne tire pas sur des journalistes pendant des manifestations (12), que la liberté d'écrire des livres existe aussi pour les employés des médias publics ou que le Président de la République respecte ses promesses en matière de nominations. Oserait-on, également demander que les médias puissent librement informer sur les guerres du François W. Hollande sans que le ministre de la défense et président du Conseil Régional de Bretagne menace de plainte pour violations du secret défense (13), ou que le ministre de l'Intérieur ne se mèle pas de la polémique qui oppose Apple au FBI  ? Pourrait-on, enfin, rappeler que toutes les récentes mesures anti terroristes votées par la France menacent toutes les libertés, y compris celles de la presse ? Si les journalistes ont compris la problématique des IMSI catchers ou celle des métadonnées, alors ils savent de quoi il en retourne

C'est à l'express condition d'exemplarité que nous pourrons donner des leçons crédibles à la Turquie.




(3) Le Publicateur Libre Liberté de la presse : entretien avec Eric Fottorino 17 mars 2016
(4) Le Monde Crise migratoire : les Vingt-Huit s’accordent sur une « position commune » face à la Turquie 18 mars 2016
(5) Libération Libertés publiques et individuelles: le PS épingle Sarkozy 11 mars 2009
(6) Challenges François Hollande choisit Marie-Christine Saragosse pour présider l'AEF 11 septembre 2012
(7) Le Figaro L'ancien bras droit de Jospin nommé à la tête du CSA 9 janvier 2013
(8) Atlantico François Hollande reprend en main la nomination du président de France Télévisions 4 novembre 2014
(9) Contrepoints Le montant des aides à la presse révélé 24 décembre 2013
(10) Contrepoints Climat investigation, de Philippe Verdier  8 novembre 2015
(11) Le Huffington Post La petite blague de François Hollande sur la liberté de la presse en Chine 3 novembre 2015
(12) France 3 Midi Pyrénées Un journaliste pris pour cible par un policier lors de la manifestation des zadistes à Toulouse 24 février 2015
(13) L'Opinion Libye : Le Drian demande une enquête pour « compromission du secret de la défense nationale » 24 février 2016

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